Il y a quelques jours, dans une petite polémique sur twitter, j’avais écrit à Caleb que les statistiques, c’est bien, mais il y a aussi la mémoire. Pour avoir activement suivi la carrière de Novak Djoković les douze dernières années, je me rappelle beaucoup de choses qui n’ont pas eu droit à des titres dans les journaux, et qui se faufilent le profile bas dans les statistiques. J’ai décidé d’en faire le sujet d’une série d’articles, car verba volant, scripta manent, et les preuves, éparses, rassemblées par Cindy, Cristina, Jane, etc. méritent une nouvelle lumière, un éclairage plus intense.
Mais avant d’entamer cette série – en anglais, honteusement – j’aurais un commentaire à faire sur l’émission « DIP impact » du 12 mars 2019, et les âneries proférées par mon journaliste préféré (dit sans cynisme aucun), Benoît Maylin, secondé abondamment par Cédric Pioline.
D’abord, la vidéo est consultable en ligne, ici.
On commence par le titre, qui souligne immédiatement qui sera le vilain de notre conte de fée : « Djokovic veut réformer le tennis ! » Je pense ne pas être le seul à vouloir poser la question : pourquoi Djokovic ? Pourquoi pas Federer, qui a inséré sa Coupe Laver dans le calendrier, se trouve en collusion avec Craig Tiley, Gordon Smith, contrôle indirectement, avec ses associés, Tennis Channel et Tennis Magazine ? Pourquoi pas Nike, dont un employé a servi comme PDG de l’ATP (Adam Helfant) ? Et que dire de IMG ?
On sait très bien que la vie sur le circuit est un enfer pour tous ceux classés en dessous de la cent cinquantième place, et elle n’est pas rose pour ceux classés entre 50–150. Djokovic, en tant que président du Conseil de joueurs de l’ATP, n’est que leur représentant – quelqu'un qui, en bonne et due démocratie, est là pour se battre pour leurs droits, tout comme aurait dû le faire Chris Kermode.
Les joueurs estiment qu'ils ont droit à plus d’argent, et à une meilleure redistribution de cet argent. Il semblerait qu'ils ont des arguments : il y a 20 ans déjà, les neufs masters gagnaient 120 millions de dollars par an en droits de télévision. Entre-temps, le public et les revenues ont grimpé en flèche. Par exemple, de 2006 à 2018, le nombre de spectateurs à Indian Wells a augmenté de 270 mille à 440 mille ; en 2017, les tournois ATP étaient suivis sur place par plus de quatre millions et demi de spectateurs, un record ; l'AO et l'USO ont récemment battu leurs records respectifs, et seuls les tournois qui n’ont pas augmenté de capacité – et ceux handicapés par la politique de l’ATP qui favorise en tous points les riches – n’ont pas profité pleinement de l’intérêt suscité grandissant. Les chiffres d’affaires et les bénéfices grimpent. Roland Garros est passé de 118 millions – dont 47 millions de bénéfices pour la FFT – en 2007 à 240 millions en 2018. Ici, nous avons des statistiques pour 2015, et l’on sait que depuis, l'AO est passé à 300 millions de chiffre d’affaires. L'ATP Board a engagé Deloitte pour une analyse des résultats financiers des tournois, et ces données devraient être connues aux représentants des joueurs, et, indirectement, aux joueurs-mêmes. Pourtant, les années maigres pour la grande majorité continuent, et leur ascension vers le sommet a été rendu encore plus ardue.
Dans la vidéo même, il y a un sous-titre: « Djokovic, tyran ou pas? » Mais que sait-on au juste des désires de Novak ? On sait qu'il aimerait que les trois cents premiers au classement puissent vivre du tennis et qu'il a proposé la création d’un syndicat. C’est à peu près tout. Pour le reste, ce ne sont que des suppositions, et, dans le cas de Benoît, des ragots, tout comme ses commentaires sur les « affaires de fesses », indignes d’un journaliste. Novak lui-même a refusé, pour des raisons justifiées, de s'exprimer sur ses propres positions, conscient qu'il parlait en tant que représentant du Conseil des joueurs, et les positions du Conseil des joueurs, de plus, ne sont pas contraignantes. Pourtant, les insinuations et les accusations continuent tout le long de la vidéo. Djokovic voudrait ceci, voudrait cela, devrait savoir ceci, cela... Au point de devenir de la diffamation pure et simple.
Novak est-il si influent parmi les joueurs ? S'il l'est – comme on l'affirme – il faudrait se demander pourquoi, et pourquoi ce serait mauvais. Mène-t-il vraiment une action pour redistribuer les revenus ? Ce ne serait pas le premier président du Conseil qui s’engage dans cette direction : Federer l’avait fait lui aussi, et, secondant Brad Drewett, il avait obtenu des améliorations en 2013, mises en place depuis. Si les joueurs demandent 50% des bénéfices, ce ne serait que justice, surtout que ce ne serait pas les sommes que sous-entend Benoît, qui confond chiffres d'affaires et bénéfices.
En réalité, ce sont les tournois qui, avec leur pouvoir de veto, restent au volant du circuit, et le problème de Kermode est qu'il n'a pas réussi à faire bouger suffisamment les choses. La main mise des E.U. et de l'Europe de l'Ouest sur les événements le plus importants est complète. Ainsi, les investisseurs potentiels de Chine, du Moyen-Orient, de l'Amérique du Sud ont été tenus à distance, et on ne leur a laissé que des miettes. Des neufs ATP 1000, huit sont en Europe et en Amérique du Nord. Des treize ATP 500, huit aussi. Ils sont les seuls à vraiment profiter de l'ossification du circuit ATP.
Il est d'autant plus facile de maintenir le statu quo et les monopoles quand les intérêts sont désespérément enchevêtrés : les agences représentant les joueurs possèdent des tournois (IMG), d'autres appartiennent à des joueurs même (Team 8), d'anciens directeurs de tournois représentent les joueurs (Kermode), des joueurs dirigent des tournois (Haas) ... c'est à n'en plus finir. Ça sent la cuisine maison. Si Novak essaie de tirer un trait et redéfinir les relations en appelant à la formation d'un syndicat, ce n'en est que plus justifié.
Si Benoît a raison sur un point, c'est que les joueurs ne savent pas ce qu'ils veulent. C'était déjà le cas en 1989, quand ils s'étaient fait bernés et avaient dangereusement fermé l'écosystème tennistique. Les joueurs, mis à part quelques grandes vedettes, y avaient été perdants. Aujourd'hui encore, il n'a pas de volonté cohérente derrière leurs aspirations. Beaucoup d'entre eux ressentent qu'ils ont besoin d'un leader, avec des idées claires et cohérentes. Mais pour attirer plus d'argent dans le tennis et restructurer le sport, il faudra provoquer plusieurs tremblements d'envergure. D'où cette attaque préventive, d'une brutalité féroce contre Novak.
Mais avant d’entamer cette série – en anglais, honteusement – j’aurais un commentaire à faire sur l’émission « DIP impact » du 12 mars 2019, et les âneries proférées par mon journaliste préféré (dit sans cynisme aucun), Benoît Maylin, secondé abondamment par Cédric Pioline.
D’abord, la vidéo est consultable en ligne, ici.
On commence par le titre, qui souligne immédiatement qui sera le vilain de notre conte de fée : « Djokovic veut réformer le tennis ! » Je pense ne pas être le seul à vouloir poser la question : pourquoi Djokovic ? Pourquoi pas Federer, qui a inséré sa Coupe Laver dans le calendrier, se trouve en collusion avec Craig Tiley, Gordon Smith, contrôle indirectement, avec ses associés, Tennis Channel et Tennis Magazine ? Pourquoi pas Nike, dont un employé a servi comme PDG de l’ATP (Adam Helfant) ? Et que dire de IMG ?
On sait très bien que la vie sur le circuit est un enfer pour tous ceux classés en dessous de la cent cinquantième place, et elle n’est pas rose pour ceux classés entre 50–150. Djokovic, en tant que président du Conseil de joueurs de l’ATP, n’est que leur représentant – quelqu'un qui, en bonne et due démocratie, est là pour se battre pour leurs droits, tout comme aurait dû le faire Chris Kermode.
Les joueurs estiment qu'ils ont droit à plus d’argent, et à une meilleure redistribution de cet argent. Il semblerait qu'ils ont des arguments : il y a 20 ans déjà, les neufs masters gagnaient 120 millions de dollars par an en droits de télévision. Entre-temps, le public et les revenues ont grimpé en flèche. Par exemple, de 2006 à 2018, le nombre de spectateurs à Indian Wells a augmenté de 270 mille à 440 mille ; en 2017, les tournois ATP étaient suivis sur place par plus de quatre millions et demi de spectateurs, un record ; l'AO et l'USO ont récemment battu leurs records respectifs, et seuls les tournois qui n’ont pas augmenté de capacité – et ceux handicapés par la politique de l’ATP qui favorise en tous points les riches – n’ont pas profité pleinement de l’intérêt suscité grandissant. Les chiffres d’affaires et les bénéfices grimpent. Roland Garros est passé de 118 millions – dont 47 millions de bénéfices pour la FFT – en 2007 à 240 millions en 2018. Ici, nous avons des statistiques pour 2015, et l’on sait que depuis, l'AO est passé à 300 millions de chiffre d’affaires. L'ATP Board a engagé Deloitte pour une analyse des résultats financiers des tournois, et ces données devraient être connues aux représentants des joueurs, et, indirectement, aux joueurs-mêmes. Pourtant, les années maigres pour la grande majorité continuent, et leur ascension vers le sommet a été rendu encore plus ardue.
Dans la vidéo même, il y a un sous-titre: « Djokovic, tyran ou pas? » Mais que sait-on au juste des désires de Novak ? On sait qu'il aimerait que les trois cents premiers au classement puissent vivre du tennis et qu'il a proposé la création d’un syndicat. C’est à peu près tout. Pour le reste, ce ne sont que des suppositions, et, dans le cas de Benoît, des ragots, tout comme ses commentaires sur les « affaires de fesses », indignes d’un journaliste. Novak lui-même a refusé, pour des raisons justifiées, de s'exprimer sur ses propres positions, conscient qu'il parlait en tant que représentant du Conseil des joueurs, et les positions du Conseil des joueurs, de plus, ne sont pas contraignantes. Pourtant, les insinuations et les accusations continuent tout le long de la vidéo. Djokovic voudrait ceci, voudrait cela, devrait savoir ceci, cela... Au point de devenir de la diffamation pure et simple.
Novak est-il si influent parmi les joueurs ? S'il l'est – comme on l'affirme – il faudrait se demander pourquoi, et pourquoi ce serait mauvais. Mène-t-il vraiment une action pour redistribuer les revenus ? Ce ne serait pas le premier président du Conseil qui s’engage dans cette direction : Federer l’avait fait lui aussi, et, secondant Brad Drewett, il avait obtenu des améliorations en 2013, mises en place depuis. Si les joueurs demandent 50% des bénéfices, ce ne serait que justice, surtout que ce ne serait pas les sommes que sous-entend Benoît, qui confond chiffres d'affaires et bénéfices.
En réalité, ce sont les tournois qui, avec leur pouvoir de veto, restent au volant du circuit, et le problème de Kermode est qu'il n'a pas réussi à faire bouger suffisamment les choses. La main mise des E.U. et de l'Europe de l'Ouest sur les événements le plus importants est complète. Ainsi, les investisseurs potentiels de Chine, du Moyen-Orient, de l'Amérique du Sud ont été tenus à distance, et on ne leur a laissé que des miettes. Des neufs ATP 1000, huit sont en Europe et en Amérique du Nord. Des treize ATP 500, huit aussi. Ils sont les seuls à vraiment profiter de l'ossification du circuit ATP.
Il est d'autant plus facile de maintenir le statu quo et les monopoles quand les intérêts sont désespérément enchevêtrés : les agences représentant les joueurs possèdent des tournois (IMG), d'autres appartiennent à des joueurs même (Team 8), d'anciens directeurs de tournois représentent les joueurs (Kermode), des joueurs dirigent des tournois (Haas) ... c'est à n'en plus finir. Ça sent la cuisine maison. Si Novak essaie de tirer un trait et redéfinir les relations en appelant à la formation d'un syndicat, ce n'en est que plus justifié.
Si Benoît a raison sur un point, c'est que les joueurs ne savent pas ce qu'ils veulent. C'était déjà le cas en 1989, quand ils s'étaient fait bernés et avaient dangereusement fermé l'écosystème tennistique. Les joueurs, mis à part quelques grandes vedettes, y avaient été perdants. Aujourd'hui encore, il n'a pas de volonté cohérente derrière leurs aspirations. Beaucoup d'entre eux ressentent qu'ils ont besoin d'un leader, avec des idées claires et cohérentes. Mais pour attirer plus d'argent dans le tennis et restructurer le sport, il faudra provoquer plusieurs tremblements d'envergure. D'où cette attaque préventive, d'une brutalité féroce contre Novak.
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