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Post Wimbledon

Sans filet la question du PGTT (c’est-à-dire du GOAT)

Pendant ce Wimbledon, j’ai assidûment suivi deux émissions sur Youtube : Sans filet et Service volée, dont j’ignore le nom de l’auteur, un garçon sympathique et faussement cynique. D’abord, quelques mots sur Service volée : c’est une chaîne Youtube qui propose des contenus intéressants, ayant l’ambition d’être critique, avec des idées souvent originales. La qualité est, malheureusement, assez inégale, et oscille entre le très bon et le pathétique. Le jeune auteur essaie de ménager la chèvre et le chou et de garder une audience variée — dont sa chaîne vit —  et, à chaque fois qu’il le fait, quand il s’incline devant la vox populi, il raconte des bêtises. Il faut qu’il se résigne à ne pas plaire à tout le monde et qu’il continue à chercher son propre chemin. Je lui souhaite beaucoup de courage et de succès.

Je souligne encore une fois que Sans filet, en dépit de la frugalité des moyens mis en œuvre, reste la meilleure émission sur le tennis en français, grâce à Benoît et Julien (Varlet, je me dois de préciser). Ce qui m’embête parfois, pourtant, ce sont ces accès d’hypocrisie aiguë dont mes experts bien aimés sont les victimes quand il s’agit de traiter de la question du GOAT. Un Benoît Maylin, qui l’année dernière défendait le point de vue que Novak serait le plus grand joueur de tous les temps — de sa génération certainement — s’il remportait Roland Garros, subitement parle de goût, de subjectivité, d’histoire, etc. Et quand Julien Varlet le seconde, j’ai une folle envie de rire, et je me demande immédiatement quelle est l’influence du troisième larron, Julien Pichené, un fan déguisé en journaliste qui peine même à prononcer le nom de Novak Djokovic. J’ai été enclin à être bien plus clément envers lui ces derniers temps, mais quand je le vois s’emporter à la simple mention de GOAT et l’entends proférer des âneries, je me rends compte du fiel qui le ronge et qu’il déverse à son insu à tous tournants.

Il y a comme un consensus qui s’est développé sur des questions de sémantique, une parlure dénaturée qui cache un raisonnement fallacieux. Subitement, on fait la distinction entre « le plus grand » et « le plus fort » (on évite « le meilleur » comme un nid de vipères) et on introduit des critères tant subjectifs qu’indépendants du jeu lui-même. Ainsi, la popularité — qui dépend exclusivement des agences de communications et des médias — devient la nouvelle pierre angulaire du concept de « GOAT ». Arnaud di Pasquale en est la victime consentante lui aussi, Richard Gasquet — pour des raisons évidentes — en est un promoteur. Une autre référence serait la beauté : inutile de répéter ce que tout le monde savait aux temps heureux quand l’école était encore l’école, que la beauté inappropriée s’appelle le kitsch. Le revers à une main n’est en rien plus beau qu’un revers à deux mains et un style de jeu qui mène à la défaite n’est en rien plus séduisant qu’un style de jeu qui apporte la victoire. Le triomphe du kitsch n’est qu’une preuve, une attestation du manque d’éducation non seulement du public, mais bien souvent des soi-disant experts eux-mêmes.

Je regarde le tennis depuis presque cinquante ans, et si, à cause des différences de matériels, de conditions de jeu, je ne puis me décider entre Borg et Djokovic au premier abord, il n’en est pas de même pour l’après 2000. J’ai vu presque toutes les rencontres entre Djokovic, Federer et Nadal, et je n’ai aucun doute qui, d’entre eux, était le joueur dominant dans ces confrontations. Pour citer Gilles Simon : « De toute façon, c’est Djoko le meilleur. » Depuis 2011, il a écrasé ses deux grands rivaux, et si Federer pourrait avoir l’excuse de l’âge, Nadal ne l’a certainement pas. Tous les résultats, à présent, sont du côté de Novak, même sur un plan historique. L’ampleur de ses exploits n’a aucun dénominateur commun avec ceux réussis non seulement avant l’ère open, mais avec ceux des débuts de cette période : le tennis est bien plus populaire, le niveau moyen est bien plus élevé (Fabrice Santoro l’expliquait dans une de ses interviews), il n’y a pas une comparaison qui ne serait en sa faveur. Seule, la génération des joueurs dont les carrières ont été brisées par l’évolution rapide du matériel aurait un mot à dire, mais les effets de cette évolution restent d’habitude ignorés par les experts, dont beaucoup n’ont jamais joué avec une raquette en bois, et qui semblent ne pas comprendre que le service/volée n’était pas un choix, mais la conséquence d’une adaptation, d’un concours de circonstances.

En réalité, il ne devrait pas y avoir de débat. Pour les connaisseurs intimement liés au monde du tennis qui savent ce qui se passe derrière les coulisses, il devrait y en avoir encore moins. Le plus grand joueur de tous les temps est celui qui l’a démontré sur le terrain, et son palmarès est son témoin. 

Citius, altius, fortius

Novak peut-il faire le grand chelem ? J’ai pensé qu’il le pourrait peut-être après la demi-finale de Roland Garros, un match d’une intensité, d’un niveau de jeu presque inégalable, où il a simplement brisé les corps et âme de Rafael Nadal, une victoire qui, quand on y réfléchit bien, n’a rien de surprenant. En a-t-il besoin pour renforcer sa place dans le panthéon de son sport ? Non, en vérité, et je pense même que ça ne servira à rien : les objectifs continueront à être repoussés. On le voit déjà dans la presse — maintenant, c’est le nombre de tournois du grand chelem de Margaret Court qui est devenu référence et je ne sais quoi encore. Pourtant, ce serait fou : un exploit inégalé dans l’histoire du tennis, sur trois surfaces différentes, avec une victoire sur le meilleur terrien ever sur sa surface de prédilection. On ne peut qu’être avec Novak dans cette épreuve, digne des travaux d’Hercule.

Je sais que beaucoup — surtout ceux qui haïssent Novak (et je peux librement employer ce terme, car ils l’emploient eux-mêmes) — estiment que de nouveaux vainqueurs de tournois de grand chelem feraient du bien au tennis, et je suis d’accord avec eux, mais je pense qu’un exploit de cette envergure ferait beaucoup plus de bien. Imaginons une finale de l’Omnium des États-Unis qui mettrait en lice Novak et Rafa, une bataille pour le vingt-et-unième, pour le grand chelem en même temps. Ce serait une publicité inégalée pour notre sport, qui, en dépit des mensonges des l’ATP, en profite amplement, ce que les chiffres disponibles prouvent abondamment. Seuls les joueurs n’en profitent pas.

Malheureusement, ce match n’aura probablement pas lieu : sans une aide copieuse des organisateurs — ce qui n’est pas à exclure, et ne serait pas la première fois — Rafa ne peut plus faire une finale de grand chelem sur dur. Les Medvedev, Tsitsipas, Shapovalov sont déjà meilleurs que lui sur surface rapide, et il cale quand il faut enchaîner des matches difficiles. D’un autre côté, la probabilité pour Novak de remporter l’USO n’est pas très grande non plus, avec tous les pépins qu’il y a connus, et la pression insoutenable qui l’y attendra. Mais si on peut parier sur quelqu’un pour accomplir le grand chelem, c’est bien le plus grand joueur de l’histoire, Novak Djokovic.

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