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Communication

Il y a eu beaucoup d’articles sur Kyrgios, récemment, et la plupart sont truffés d’âneries. La dernière que j’ai lue est le monumental « pétri de talent », dans l’article d’un journaliste assez connu, mais que j’ai tendance à mépriser pour ses partis pris, son manque de respect envers les joueurs et le tennis en général, qu’il ne comprend pas, et, d’après moi, qu’il n’aime pas. Son emploi du mot « talent », si banal, est une abomination. Le talent est assimilé, pour reprendre la formulation de Julien Varlet, à faire « des amorties rétro » et des volées. Le talent est évidemment bien plus que cela, et il a bien plus de facettes.

Dans le cas concret de Kyrgios, c’est sans tenir compte de la relation étroite et méconnue entre un joueur et sa raquette. Celle de Kyrgios permet de servir très fort, mais pose des difficultés quand il faut tenir l’échange. Dès qu’il joue sur une surface tant soit peu lente, au rebond assez haut, il n’arrive pas à marquer des points, et il est forcé à jouer des amorties, des volées, car les coups gagnants du fond du court résident dans une dimension inatteignable pour lui.

Prenons l’exemple de Djokovic. En 2009, il ajoutait quinze à vingt grammes à sa raquette pour pouvoir tenir l’échange contre Nadal sur terre battue. Son jeu changeait immédiatement, et, entre autre, il perdait son service. Il aura besoin de cinq ans pour retrouver un premier coup efficace, mais au lieu de servir à 205-2010 km/h, il sert aujourd’hui à 185 km/h en moyenne. Avec les raquettes de Djokovic ou Federer, Kyrgios ferait beaucoup moins d’aces, mais il serait capable de jouer bien mieux du fond du court. Ou plutôt incapable, car il ne bouge pas bien, il est d’habitude trop haut sur ses jambes, et on sait qu’il lui manque de rigueur.

Par contre, il a bénéficié d’un apport très considérable de ses entraîneurs. L’école australienne est très bonne, et les joueurs sont bien formés. Comparons cela à un Carreno Busta que j’ai regardé hier : Pablo a une lacune au service qui l’empêche d’obtenir de meilleurs résultats, malgré un talent indéniable. Un bon coach l’aurait corrigée (Nadal avait la même jusqu’en 2010) depuis longtemps. Ou prenons les cas de Tiafoe et Kecmanovic : on voit immédiatement qu’ils ont été mutilés par leurs entraîneurs. Kecmanovic est un paradigme pour les joueurs de l’est de l’Europe : on trouve un garçon (ou plutôt une fille, car la concurrence est moindre) précoce physiquement et ayant du nerf, on le fait jouer le plus possible pour obtenir des résultats et se forger une réputation, et on se moque bien de son avenir. Si les parents ne s’engagent pas à fond, comme ceux de Djokovic, l’aventure s’arrête à quatorze ans ou, au plus tard, aux abords des tournois de la FIT.

Kyrgios n’a jamais vraiment eu à faire face à des difficultés, et quand c’est arrivé, il n’a eu ni les instincts, ni la volonté d’y faire face. Pour un garçon choyé, gâté, n’être pas au centre du monde n’est pas une option. D’où son comportement scandaleux sur le court, ses déclarations imbéciles, tout ce manège pour attirer l’attention. Il faut dire que ça lui réussit : on parle beaucoup plus de lui que d’un Thiem, un Medvedev ou un Tsitsipas, que dire d’un Lucas Pouille ou d’un David Goffin. L’alibi qu’on lui prête si souvent est « qu’il est bon pour le tennis ». Une niaiserie : les gradins pour son match contre Karen Khachanov étaient vides. C’est à Nike qu’il fait du bien, qui essaie de vendre ses accoutrements clownesques à une génération de jeunes déboussolés, sans éducation et idiots, que Kyrgios représente si bien.

Table ronde

Notre monde est devenu un monde de communication : y est vrai ce qu’on veut bien. L’autre jour, une table ronde sur Eurosport révélait encore une fois la portée de ce monde imaginaire, où rien n'est un relation avec la vérité. D'anciens joueurs, des journalistes discutaient des changements récents dans les relations de force dans le monde du tennis : absolument tout ce qui y était dit était le produit de l'imagination, sans une once de vérité.

Ainsi, j’ai entendu que Novak était « autoritaire ». N’importe quoi : s’il l’était, les réunions du Conseil de joueurs ne dureraient pas sept heures. Les requêtes des joueurs seraient la fin des ATP 250. Mais les joueurs demandent une plus grande part des bénéfices – pas du chiffres d’affaires. Federer et Nadal reviennent dans le Conseil pour faire contrepoids à Novak. Roger, oui, qui tient à protéger ses propres intérêts ; les motifs de Rafa ne sont pas encore définis. Etc., etc.

J’ai déjà écrit en détail sur l’ATP.  Ce qui m’a abasourdi lors de cette table ronde étaient les assertions gratuites de ses participants. Certaines de leurs déclarations étaient de la pure calomnie, d’autres étaient honteuses – mais j’ai bien peur que ses participants n’en soient pas conscients. Ce qu’on pouvait dégager de leur effroi était une peur terrible d’une restructuration de monde du tennis, une restructuration où les fonctionnaires parasites de la fédération devraient se serrer la ceinture (car on perdrait une partie de l’argent généré par RG et Paris-Bercy au profit des joueurs).

La France serait évidemment parmi les grands perdants au cas de changements majeurs. D'autres marchés existent, et un syndicat des joueurs pourrait forcer l'ATP à s'ouvrir vers d'autres pays, d'autres continents. L'Inde, la Chine, le Japon, l'Amérique du Sud pourraient organiser des tournois de plus grande importance, offrir plus d'argent aux joueurs, et réduire les bénéfices des gros ATP 1000 et des tournois du grand chelem. Et c'est ce dont il est question derrière toutes les jérémiades sur la stabilité et la tradition.

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