Accéder au contenu principal

Héritage

J’ai commencé à regarder le tennis à l’époque des premiers Roland Garros télévisés sur l’ORTF : je me rappelle José Luis Clerc en crampes à la fin d’un marathon de cinq heures, Manuel Orantes et son petit mouchoir, Guillermo Vilas peinant à servir à plat, Victor Peci et ses plongeons sur terre battue, Salomon, incapable de tenir l’échange et jouant des ballons, et surtout, je me souviens de Björn Borg. Je ne sais pas s’il était une grande vedette à l’époque, une star – comme on le dirait aujourd’hui – car je ne lisais pas les journaux, ni s’il avait du « charisme » – un mot qui s’emploie généralement pour signifier que quelqu’un est beau garçon (Borg était moche) – mais il était invincible. Mon joueur préféré était Jimmy Connors, et je désespérais de le voir battre Borg au moins une fois. Ma souffrance, après leur dernière demi-finale à Wimbledon, quand Jimmy lui avait infligé une bulle à la première manche pour perdre 6-4 à la cinquième, fut inimaginable.

Borg était le plus grand, le meilleur, un point c’est tout. Il ne perdait jamais (il est vrai que je ne regardais pas Forest Hills). On aurait beau essayer de me convaincre, je croyais à ce que j’avais vu de mes yeux vu, pas à des racontars. Comme tous les enfants crédules.

Les adultes, par contre, savent mieux : par exemple, ils savent qu’il faut croire. Que leurs propres opinions, fondées sur des évidences, sont fausses, que quelqu’un d’autre sait mieux. Les décodeurs, par exemple. Les experts. Pour ne pas sombrer dans l’affreuse réalité, je me tiendrais au tennis : ainsi, si vous êtes français, on vous expliquera qu’un revers à une main est plus beau qu’un revers à deux mains ; que le service/volée est le sommet de la beauté en tennis ; que Djokovic pleurniche chaque soir dans un coin, car il n’est pas aimé.

Comme le dit justement Lino Ventura dans Les tontons flingueurs, les cons, ça ose tout, mais c’est à nous de n’être pas plus cons encore et de gober toutes ces niaiseries. Ayant regardé – vu de mes yeux vu – ce tennis service-volée, je peux vous assurer qu’il n’y avait rien de plus chiant, et qu’on le jouait non pas par choix, mais par besoin : sur gazon, il y avait trop de faux rebonds pour pouvoir espérer frapper la balle avec tant soit peu de consistance. Et puis, ce revers à une main – c’était peut-être bien à l’époque des boyaux de chat et des lourdes petites raquettes en bois, mais depuis les cordages luxilons et les lifts rebondissants à deux mètres de hauteur, il faut être un monstre physique pour pouvoir le jouer. Comme Tsitsipas, par exemple, qui n’utilise presque pas de rotation des anches dans ses coups la plupart du temps. Quant à Djoko… D’abord, je peux vous assurer qu’il n’en a rien à foutre de « l’amour » : je me demande même où est-ce qu’on est allé chercher ce truc, qui ne fait aucun sens. Il n’a qu’à jeter un clin d’œil à ses comptes sur les réseaux sociaux pour voir qu’il a des millions de fans. Il paraît – ce serait une info de Jean-René Lisnard, entendue dans Service Volée, une chaîne Youtubequ’il serait détestable et, disons, mal-aimé par les joueurs. Les témoignages de Daniil Medvedev, d’Alejandro Davidovich Fokina, témoignent non seulement du contraire, mais qu’une propagande éhontée se mène contre Novak.

Il faut ici que je m’attarde un peu sur Daniil Medvedev. Non, je ne vais pas souligner le travail nul de ses entraîneurs — dont Gilles Cervara — qui l’ont laissé avec une technique déficiente, mais sa mentalité : Medvedev continue à être brutalement franc et direct. Nos petits journalistes français, qui n’essaient jamais de comprendre, l’estime « charismatique », mais il reste tout simplement russe. Il me fait penser à Humphrey Bogart, qui, comme tous les Russes, méprise les Boches, les lâches et les truands. Il y a là une différence civilisationnelle entre les Russes et les Serbes, incarnée par Djokovic et Medvedev : Djokovic, appartenant à un petit peuple qui a payé cher sa liberté, évitera d’exacerber les tensions; Medvedev, membre d’une nation qui a abreuvé ses chevaux dans la Seine et la Sprée, n’en a rien à foutre.

Dans notre civilisation efféminée, les jeunes sont conditionnés à refuser le combat, à écouter, à croire, à rester dociles. Ils ne se battent plus pour la vérité – quand ils le font, c’est sous l’enseigne de la pluralité d’opinions. Pourtant, la vérité est, par sa définition, unique. Même complexe, elle reste unique. Alors, on répète les mensonges comme une incantation, pour arriver à y croire. Et c’est seulement quand il y a trop de dissonances qu’on trouve l’appui pour dissoner soi-même. Le principe reste le même, démocratique : la majorité, un jour, finit par l’emporter. Ainsi, tous ces enfants qui grandissent en regardant les finales de Wimbledon, de l’AO, ou cette demi-finale de Roland Garros, ils sauront très bien qui était le meilleur, le plus grand, l’invincible, et ce n’est pas à eux qu’on pourra raconter des sornettes, car ils auront vu, de leurs yeux vu.

Heritage

I started watching tennis at the time of the first Roland Garros televised by the ORTF: I remember José Luis Clerc in cramps at the end of a five-hours marathon, Manuel Orantes and his little handkerchief, Guillermo Vilas struggling to serve flat, Victor Peci and his dives on clay, Salomon, unable to hold the exchange and playing moonballs, and above all, I remember Björn Borg. I don't know if he was a big star at the time, a star – as we would say today – because I didn't read the newspapers, nor if he had “charisma” - a word that usually used to mean that someone is a handsome boy (Borg was ugly) - but he was invincible. My favourite player was Jimmy Connors, and I was desperate to see him beat Borg at least once. My pain, after their last semi-final at Wimbledon, when Jimmy baggeled him in the first set to lose 6-4 in the fifth, was unimaginable.

Borg was the greatest, the best, period. He never lost (admittedly I didn't watch Forest Hills). No matter how hard anyone tried to convince me, I believed what I had seen with my own eyes, not gossip. Like all gullible children.

Adults, on the other hand, know better: for example, they know that one should believe. That their own opinions, based on the obvious, are wrong, that someone else knows better. Decoders, for example. Experts. So as not to sink into the dreadful reality, I would like to stick to tennis: thus, if you are French, you will be told that a one-handed backhand is more beautiful than a two-handed backhand; that serve & volley is the pinnacle of tennis beauty; that Djokovic whines every night in a corner because he is not “loved”.

As Lino Ventura rightly says in Crooks in Clover, idiots dare to do everything, but it is up to us not to be even more idiotic and to swallow all this nonsense. Having watched – seen with my own eyes – this serve & volley tennis, I can assure you that there was nothing more annoying, and that it was played not by choice, but by need: on grass, there were too many false rebounds to even hope hitting the ball with any consistency. And then, that one-handed backhand – maybe it was all right back in the days of guts and heavy little wooden rackets, but from the time of luxilon strings and spinning bounces two meters high, you had to be a physical monster to be able to play it. Like Tsitsipas, for example, who hardly uses hip rotation in his shots most of the time. As for Djoko… First of all, I can assure you that he doesn't give a damn about “love”: I even wonder where did we go to get this thing, which means nothing. He only has to glance at his social media accounts to see that he has millions of fans. It seems – this would be a Jean-René Lisnard gossip, heard on Service Volée, a Youtube channel – that he’d be despicable and, let's say, unloved by the players. The testimonies of Daniil Medvedev, Alejandro Davidovich Fokina, prove not only the contrary, but that another round of shameless propaganda is being waged against Novak.

Here I have to dwell a bit on Daniil Medvedev. No, I'm not going to highlight the poor work of his coaches – including Gilles Cervara – who left him with poor technique, but his mentality: Medvedev continues to be brutally frank and honest. Our little French journalists, who never try to understand, consider him "charismatic", but he remains simply Russian. He reminds me of Humphrey Bogart, who, like all Russians, despises Jerries, cowards and thugs. There is also a civilizational difference between Russians and Serbs, embodied by Djokovic and Medvedev: Djokovic, belonging to a small people who have paid dearly for their freedom, will avoid exacerbating tensions; Medvedev, member of a nation that has watered its horses in the Seine and the Spree, does not give a fuck.

In our effeminate civilization, young people are conditioned to refuse confrontation, to listen, to believe, to remain docile. They are no longer fighting for the truth – when they do, it is under the banner of plurality of opinions. Yet the truth is, by its definition, unique. Even complex, it remains unique. So we repeat lies like incantations, in order to believe them. And it's only when there are too many dissonant voices that one finds support for its own dissonance. The principle remains the same, democratic: the majority, one day, wins. So, all those kids who grow up watching the Wimbledon, AO finals, or this Roland Garros semi-final, they'll know very well who was the best, the greatest, the invincible, and they are not the ones that can be told nonsense, because they will have seen, with their eyes seen.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Un mois (ou presque) du blogue

Il est temps de faire un premier bilan du fonctionnement du blogue depuis son début. Les billets La qualité des billets est discutables. Je n'ai guère de temps pour faire les recherches nécessaires ; d'autre part, j'ai déjà discuté de la plupart des sujets que je touche sur d'autres sites, et j'essaie, dans la mesure du possible, d'éviter de me répéter. Ce qui est dissonant est que j'écris d'un point de vue obsolète à des audiences très différentes : une canadienne, une autre française. Ça fait presque trois décennies que je ne vis plus en France, et je suis resté intouché par les changements culturels qui ont vu jour entre-temps. D'un point de vue idéologique, j'appartiens encore à la classe ouvrière disparue ; je pense, qu'après De Gaulle, Georges Marchais était le seul homme politique intègre qu'on ait eu, et je ne lis pas les journaux. Günter Wallraff disait, dans un vieil interview,  que la société se complaisait un peu trop

Another brick in the wall

While my posts are horrendously boring, revolving mostly about tennis, the titles, at least, are intriguing: but it doesn't mean these titles make any sense. And, frankly, writing about tennis is, sometimes, quite distressing: just like finding something new to cook for lunch every day, when you don't have much money. But right now, there are a few interesting topics: the WTF, although Andrew Moss covered most of the hot questions here . Goffin has a good chance to qualify if Cilic loses in the second round against Karlovic, or if he beats Cilic in the third, but his chances are slim, to be honest. The greatest surprise -- without being one -- is Monfils already qualified. Another great topic is the race to the no 1 ranking. Novak has only 165 points more than Andy at the Race, so the player who achieve better results in the last two tournaments will finish first. Although Carole Bouchard tweeted that Djokovic looks "much better than in Shanghai : [...] rested and pret

Tennis dans les coulisses

Alors qu'autrefois la carrière et le règne des champions duraient... tant qu'ils duraient, avec l'explosion de la popularité du tennis, des moyens de communication et la croissance cancéreuse du monde informatique, on a l'impression que ce n'est plus le jeu qui décide de la gloire des vainqueurs, mais le monde corporatif qui attend un retour de plus en plus grand sur l'argent investi. Je me souviens qu'en 2007, Federer, qui, comme moi, n'y avait vu que du feu, se défendait « d'avoir créé un monstre ». On l'enterrait dès les premières défaites inattendues contre Canas. En dépit du fait qu'il allait remporter sept grand chelems de plus -- autant que Wilander, McEnroe, par exemple, dans leurs carrières -- le glas avait sonné : un joueur plus populaire, plus « banquable » existait, c'est là que se trouvait le pognon, et Federer devait faire de la place au soleil. Mais Roger avait sa propre niche -- le monde avec une conception plus tradit