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Tennis dans les coulisses

Alors qu'autrefois la carrière et le règne des champions duraient... tant qu'ils duraient, avec l'explosion de la popularité du tennis, des moyens de communication et la croissance cancéreuse du monde informatique, on a l'impression que ce n'est plus le jeu qui décide de la gloire des vainqueurs, mais le monde corporatif qui attend un retour de plus en plus grand sur l'argent investi.

Je me souviens qu'en 2007, Federer, qui, comme moi, n'y avait vu que du feu, se défendait « d'avoir créé un monstre ». On l'enterrait dès les premières défaites inattendues contre Canas. En dépit du fait qu'il allait remporter sept grand chelems de plus -- autant que Wilander, McEnroe, par exemple, dans leurs carrières -- le glas avait sonné : un joueur plus populaire, plus « banquable » existait, c'est là que se trouvait le pognon, et Federer devait faire de la place au soleil.

Mais Roger avait sa propre niche -- le monde avec une conception plus traditionnel du tennis, peut-être (notez ce « peut-être », car le profile des Fedfans est différent de continent en continent, de pays en pays, et seule une analyse poussée, basée sur des chiffres dont je ne dispose pas en ce moment pourrait nous donner une image vraie de ses supporters ; pour se faire tout de même une idée, l'industrie du sport empoche entre 120 et 200 milliards de dollars, et le tennis représente 11% de cette fourchette) -- et, zut ! il ne voulait pas vraiment quitter le sommet du classement. Alors, on inventa « Fedal », la duopoly, pour quelques années. Mais on continua à harceler Federer par des questions sur son déclin, provoquant même, résultat inattendu, ainsi, son renouveau.

Comme aujourd'hui tout se répète dans le cas de Djokovic, on se demande si c'est par hasard, ou si c'est, plutôt, bien concerté. Les profils de Federer et Djokovic sont très semblables, les profils de leurs rivaux aussi : Roger et Novak proviennent de pays de la même taille, ils parlent couramment plusieurs langues, portent des tenues très classiques, et jouent le même genre de tennis offensif, basé sur des schémas de jeu similaires. (Il y a, évidemment, des différences dans leur tennis, mais elles sont la conséquences de leurs formations initiales, pas de leurs caractères et impulsions innées. Federer a un service plus précis, et un revers à une main. Il a grandi en jouant sur béton et imitant Sampras. Djokovic a grandi sur ocre ; il a dû abandonner le revers à une mains (qu'il jouait), et apprendre à être patient pour remporter des points, faute de puissance physique. Federer a appris son coup droit à hauteur de anche, Djokovic à hauteur de poitrine, etc...)

Rafa et Andy sont étonnamment semblables aussi, sinon plus : notons leur attrait pour des publics plus nombreux, Nadal parlant espagnol, Murray étant... Écossais ? Qu'importe. L'image est similaire, bien que les hommes soient très différents. D'ailleurs, le rôle des joueurs est assez négligeable.

On voit le même scénario se reproduire : questions sur la santé, les blessures ; couronnement de Murray (remarquons que le même type de « hype » existait début 2009, ensuite en 2012 ; déjà, cette année-là, Murray était le « vrai » numéro un -- même si, tout comme aujourd'hui, ses résultats n'étaient en rien supérieurs à ceux de la concurrence) ; omissions, dans les articles, des succès, accent sur les revers (ainsi, Toronto est complètement absent des articles consacrés à Djokovic), etc.

Ce n'est pas seulement une « narrative ». Une communication de ce genre a plusieurs buts : promouvoir et déposer sur le plan médiatique ; influencer les sponsors potentiels, car plus le nombre de sponsors est grand, plus l'image est protégée ; et, même si le joueur ne lit pas la presse, agir sur son moral, d'où les questions répétées lors des conférences avec les médias, ou après match.

Cette guerre s'était finalement déchaînée à Monte Carlo, au premier trébuchement du champion. Roland Garros s'approchait : un grand chelem aurait doublé l'effet publicitaire pour Uniqlo, Peugeot, Head, et elle aurait eu un effet considérable sur les actions de Wilson, Nike (le pouvoir publicitaire du sport est, en effet, environ huit fois supérieurs à celui des campagnes classiques). La presse anglophone fit tout pour que le grand chelem fut passé sous silence (voir mes articles précédents pour la notion de GC ; officiellement, c'était les quatre tournois remportés de suite, sans limitations temporelles, jusqu'en 2012, quand la définition a été altérée après l'Australian Open).

La domination de Djokovic est également mauvaise pour les sociétés de paris en ligne, qui investissent des dizaines de millions de dollars dans le tennis (j'ai trouvé plusieurs chiffres différents ; une simple recherche vous donnera les mêmes résultats, troublants, avouons-le ; ce qui est certain, c'est que ces sociétés soutiennent l'ITF), et auxquelles des résultats plus variés profiteraient. Dèjà, à Rome, puis à Roland, ensuite aux Jeux, maintenant à l'USO, les tableaux étaient très déséquilibrés. Tiens, comparons les tableaux de Murray à Wimbledon et à l'USO. En dépit des différences, un goût étrange de déjà-vu :



L'équipe de Djokovic a riposté par la campagne « bring the love », et Uniqlo y a mis du sien, sentant, surtout, que Novak n'en était que plus populaire en Chine, marché de prédilection de la société japonaise. Le Serbe n'est pas dans la situation de Federer, qui avait dû patienter jusqu'à la fin de son contrat avec IMG -- d'un côté, il n'est obligé d'accepter le jeu, de l'autre, il n'a pas de filet de sécurité.

C'est la raison pour laquelle l'USO est si important. Pour les deux joueurs, une victoire est un must. Si Murray l'emporte, même s'il finit l'année en no 2 mondial, il sera le « vrai no 1 », et les gros contrats seront pour lui. Si Djokovic l'emporte, il remettra le suspense à l'année prochaine, et pourra utiliser ce temps pour consolider sa place non seulement dans l'histoire du tennis, mais aussi sa tire-lire (déjà pleine à craquer).

Finalement, dans leur hâte, les « pouvoirs » ont oublié le joueur qui, en ce moment, joue probablement le meilleur tennis : Nadal. Je me demande ce qui se passera s'il remporte l'US open, ce qui est très possible.

Commentaires

  1. Cilic éliminé par Sock ; Youzhny se retire après 6 jeux ; Isner semble avoir une blessure à la jambe. Novak retablit un peu ses chances.

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    1. Il aurait probablement été mieux pour Djokovic de jouer un match complet. A un moment donné, ça va devenir beaucoup plus difficile et ça pourrait lui joué un mauvais tour. D'ailleurs, ça lui est d'ailleurs déjà arrivé.

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  2. C'est finalement toi qui avait raison sur Cilic :-(. Très petite prestation de sa part contre Sock qui s'en est sorti en trois 'petits' sets. Un Two Thumbs Down pour Cilic qui n'a fait qu'acte de présence. Il n'y avait rien de rien dans ses coups sans compter les erreurs non-provoquées.

    Parfois, certaines performances sont incompréhensibles.

    Vu le 3ième set en M. Keys et N. Osaka; cette dernière menait 5-1 au set décisif et a fini par perdre le set 7-6 ... ouch! Keys s'est mise à mieux jouer et la nervosité s'est emparé d'Osaka. Le talent est indéniable chez cette dernière, tout comme pour Keys d'ailleurs, et un bel avenir se présente devant les deux.

    Deviner quoi, notre ami N. Djokovic est béni est des Dieux. Il mène 4-2 au premier set devant Youhzny et ce dernier abandonne. Le serbe aura donc de l'énergie pour les prochaines rondes. Au prochain, il affrontera le vainqueur du duel Isner vs Edmund (GBR). Ca risque donc d'être contre le grand américain.

    A noter, la victoire en quatre sets de Baghdatis contre le tombeur de Raonic, R. Harrison. Ce dernier avait dû se qualifier pour le tableau principal et la fatigue se voyait. On regrette encore cette malheureuse, et inexplicable, défaite de notre canadien.

    Ce soir, Nadal affronte Andrey Kuznetsov, je vais sûrement jeter un oeil sur cet affrontement.

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    1. Apo, le soleil, même quand on y est habitué, quelquefois tape trop fort. De plus, les « experts » font vite de repérer cette sorte de faiblesse chez les joueurs : les programmations sont loin d'être le fruit du hasard.

      Tiens ça me fait penser au QF de l'AO en 2009, quand on avait mis Novak contre Roddick sous 40 degrés, car on savait que l'Américain supportait bien mieux la chaleur ; un autre exemple est cette demie de l'USO en 2014.

      Tu n'as qu'à regarder les résultats de Novak sur le court no 1 à Wimbledon pour savoir que c'est là qu'il allait être éliminé tôt ou tard. Je suis certain que, comme Rafan, tu pourrais discerner ce genre de « hasard » dans sa carrière -- j'avoue mieux connaitre Djoko.

      Edmund semble lui aussi avoir de petits bobos. J'espère qu'il va aider Novak à trouver du rythme.

      De l'autre côté du tableau, aujourd'hui commence l'enfer dans le quart de Stan. Voilà mes pronos : PCB (Thiem out), Ferrer (DelPo out), Kyrgios, Wawrinka, Nishi, Donaldson, Dimitrov (qui va éliminer Murray), et Lorenzi (nan, je blague, quand même).

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  3. Sousa avait une chance, et il pourrait peut-être encore créer une surprise, mais dur à croire.

    Ferrer, la sienne, il l'a laissé filer au premier set. Il a le jeu pour battre DelPo sur une surface rapide, malheureusement, les jambes ne suivront probablement pas. Mais avec Ferrer, ce n'est pas fini tant que ce n'est pas fini.

    Je vais essayer de regarder un peu de Lorenzi-Murray, pour voir jouer le de facto meilleur joueur du monde.

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    1. Je n'ai rien vu du match de Sousa. Par contre, j'ai vu la plus grande partie du match entre Del Potro et Ferrer. La seule chance de ce dernier était de remporter le premier set, ce qu'il n'a pas faire. Ensuite, on savait que Del Potro était en business. Ferrer est un bataillant, mais pas assez de puissance pour rivaliser avec l'argentin. Même s'il a une excellente défensive et qu'il est super étanche en fond de terrain, contre un joueur puissant comme Del Potro qui même s'il cogne ses balles pas mal à plat est très régulier en fond de terrain.

      On a l'impression que Ferrer est définitivement sur le déclin.

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  4. Il devient clair que Lorenzi a laissé filer lui aussi sa chance quand il servait pour le premier set. Pourtant, il a tactiquement bien joué les deux premiers sets, laissant Murray prendre des risques et jouant avec beaucoup d'effets. Une belle performance de l'Italien.

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  5. J'ai vu des bouts du match de Lorenzi contre un Murray qu'on a déjà vu meilleur et qui semble prenable. Lorenzi avait le 1er set dans sa raquette, mais a loupé son et au second set, il s'est encore fait brisé lorsqu'il avait le bris, mais oh surprise, a brisé l'écossais pour prendre le second set. Ensuite, les choses ont déboulé pour Murray.

    Au prochain tour, il jouera contre Dimitrov, ce qui devrait donner un très bon match. Si Murray ne joue pas mieux, il pourrait être en danger.

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    1. Murray a probablement Dimitrov, Nishikori et l'un des quatre joueurs suivants sur son chemin : Thiem, DelPo, Stan, Kyrgios.

      Kyrgios n'a aucune chance. Il reste béat d'admiration devant Murray, incapable de jouer.

      Nishikori -- son problème est qu'il reste trop agressif, sans assez de variété. Il joue dans la force de Murray. Comme si ce n'était pas assez, il est friable dans les moments-clés. Je n'y crois pas non plus.

      Stan, il faudrait d'abord qu'il gagne contre Evans, et c'est loin d'être fait. Il a déjà battu AM à Flushing Meadows, alors ça reste à voir.

      DelPo -- pas sur une surface qui joue si vite.

      Thiem, non plus, bien que je n'aie pas d'arguments.

      Il faudrait un bien mauvais jour de Murray pour perdre avant la finale. Mais ç'est possible.

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  6. J'ai commencé à écouter le match entre Wawrinka et un joueur que je ne connnaissais pas du nom de Daniel Evans. Finalement, le match s'annoncait meilleur et je suis resté. Ce Evans est passé bien proche de surprendre un Wawrinka qui pensait sans doute que ce serait un trois petits sets sans histoire.

    Joueur de petit gabarit, mais avec un service parfois au-delà de 120mph et de bonnes, bonnes accélérations sur son coup droit sans compter qu'il n'est pas mauvais du tout au filet. Un revers à une main, mais il utilise souvent le coupé qui reste bas et qui a causé du trouble à Stan. Evans est très intelligent sur un court et c'est pourquoi le match s'est rendu en cinq sets. Malheureusement, aussitôt qu'il a perdu le 4ième set, on savait que Wawrinka passerait. Evans aurait gagné ce match et ça n'aurait pas été un vol tant il jouait bien. Malheureusement, beaucoup de double-fautes (> 12) et quelques mauvaises décisions l'ont coulé. Il a 26 ans et pourrait monter entre les rangs 20 et 30 au classement avec la santé et du travail.

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