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c'est toujours mourir un peu

Mais dans le monde du sport, les fans meurent aussi, un peu, avec leur joueur préféré. C'est le paradoxe de la vie : on vit petit à petit, et on meurt peu à peu. Et, même si avec l'âge on atténue l'emprise que le sport à sur nous, si on contrôle mieux nos émotions, nos amours restent pures, et les peines profondes.

Je ne me suis jamais vraiment remis -- dans cette part superflue de ma vie consacrée au tennis -- du déclin de Connors. Aujourd'hui encore, je compare tous les revers à deux mains -- les seuls esthétiquement plaisants -- à son revers de gaucher, un coup tout simplement magique, avec lequel il pouvait faire n'importe quoi. C'est seulement en Marat Safin, bien plus tard, que j'ai trouvé un héritier de ce style de jeu agressif et versatile, et ensuite, après la carrière en dents de scie du russe, en Djokovic.

D'un autre côté, l'âge nous apprend à être moins exclusif, à respecter les facettes différentes du jeu, les approches opposées et les styles divers. Il nous révèle la relativité des victoires, et la finalité de la défaite ; et surtout, il nous découvre la valeur et la beauté intrinsèque de l'effort, du surpassement de soi, du travail, et, dans un match, du combat.

Quand j'ai appris la nouvelle du retirement probable de Federer, j'en ai ressenti un peine vague, mal définie, mais profonde : il n'y aurait plus de Big Three, plus the Holly Triad -- plus de sainte trinité du tennis. Les mots même vont disparaître. Une ère va finir -- non seulement l'ère de rivalités jamais vues précédemment, mais surtout celle de la redéfinition du jeu : thèse -- antithèse -- synthèse, mais où les rôles de Federer, Nadal et Djokovic ne sont pas fixes, chacun d'entre-eux offrant une synthèse du jeu des deux autres, comme le serpent mordant sa propre queue, malgré les différences superficielles.

Ce que j'ai aimé, dans le jeu et la carrière du Suisse, était tout le contraire de ce que l'on exalte d'habitude : c'étaient son aptitude au travail, qui lui a permis de se remettre en question ces dernières années et de progresser, sa puissance physique, dont on ne parle que rarement, et qui, pourtant, était une des clefs de son jeu, et son acharnement à se relever, comme si de rien n'était, après les pires défaites.

Car il faut beaucoup de courage pour se relever après les défaites consécutives à Roland Garros,  Wimbledon en 2008, et à l'Open d'Australie en 2009, et remporter trois des quatre tournois du grand chelem suivants. Il faut un cœur de champion, comme l'avaient Fraser et Ali, pour rentrer à 35 ans sur le court, contre le no 1 mondial, dans un match au meilleur des cinq manches, et y croire encore.

C'est ce courage dans la tempête qui m'a finalement poussé à le respecter. Sa bravoure face au déclin, prise souvent pour du déni ; sa maturation en tant qu'homme, qui a, peu à peu, transformé sa vanité en franc-parler. Son amour du jeu qui l'a fait surmonter son ego pour chercher le tennis en lui-même au lieu de chercher sa place dans le monde du tennis.

Mais, même si Federer revenait en début de 2017, le moment de son retirement a été ce tournoi de Toronto, où la grande star, le joueur qui attirait tous les regards, était quelqu'un d'autre. Une autre génération de fans est arrivée ; l'ancienne est déjà moins présente sur les fora, dans les gradins, et la mort du champion, comme la fin des dieux antiques, survient petit à petit, peu à peu, avec le nombre décroissant de fidèles.

Commentaires

  1. Je découvre avec plaisir chaque nouveau billet de ce blog à la dissidence subtile... ce regard décalé de la doxa épice des réflexions originales et, ce qui ne gâte rien, c'est très bien écrit.

    J'aime beaucoup cette intuition et sa formulation "il n'y aurait plus de Big Three, plus the Holly Triad -- plus de sainte trinité du tennis. Les mots même vont disparaître. Une ère va finir -- non seulement l'ère de rivalités jamais vues précédemment, mais surtout celle de la redéfinition du jeu : thèse -- antithèse -- synthèse, mais où les rôles de Federer, Nadal et Djokovic ne sont pas fixes, chacun d'entre-eux offrant une synthèse du jeu des deux autres, comme le serpent mordant sa propre queue, malgré les différences superficielles."

    Il faut sans doute être exempt de l'emprise de la fascination pour être sensible aux vertus que tu soulignes chez Federer (moi aussi je les apprécie particulièrement).

    Je vois aussi un point commun à Federer et Connors (qui n'est peut-être pas étranger à leur longévité ?) : c'est très subjectif sans doute, mais jamais je n'ai ressenti chez d'autres joueurs à quel point un orgueil absolument monumental alimentait la vertu du courage.
    Tu cites les derniers combats contre Djokovic Roi, j'ai en tête un match exceptionnel de Murray à l'Australian Open, où Federer était dominé de bout en bout, et qu'il a miraculeusement mené au 5è set alors que la différence de niveau de jeu était écrasante...



    Patricia

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    Réponses
    1. Merci pour ce commentaire, chère Patricia, qui m'a causé un vif plaisir. J'ai été, malheureusement, absent ces derniers jours et je n'ai pu publier tes remarques à temps. Je te prie de m'excuser.

      Quant à l'orgueil: avec le temps, Federer est arrivé à transformer des défauts en qualité -- c'est le sens même de la maturation: se redéfinir sans cesse, et parvenir à la transmutation.

      En écrivant ce billet, je ne m'étais pas rappelé ce match contre Murray, que j'avais pourtant regardé. J'avoue y avoir cru et avoir espérer jusqu'à la fin, ayant en aversion la lâcheté profonde du Muzzérable.

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